L’épuisement maternel (Partie 1)

Si le concept de burn out professionnel est reconnu, il n’en est pas de même pour celui d’épuisement maternel. Parler de la fatigue des mères est tout simplement tabou dans notre société où l’individualisme et la quête de la performance sont omniprésents. Pendant des décennies, le statut de mère au foyer était la norme, aujourd’hui, en plus d’être une maman parfaite, les femmes devraient également être des working girls compétentes, tout en restant des épouses aimantes. Il n’est pas simple pour une maman de reconnaître qu’elle n’y arrive pas, alors que toutes les autres mères semblent si bien s’en sortir. Il n’est pas facile d’admettre qu’elle est à bout de nerfs, quand son partenaire répond inlassablement : « mais comment elles faisaient nos mères avant ? ». Trop polie pour rétorquer que franchement, elle s’en fiche et qu’elle veut juste laisser tomber, la maman se laisse glisser peu à peu dans la spirale infernale du burn out maternel

Savez-vous que la division de recherche de l’Association Américaine de Psychologie Spécialisée sur la condition de la femme a identifié le simple fait d’être mère, comme facteur de risque indépendant menant à la dépression ? C’est à dire que la maternité, à elle seule, est reconnue comme ayant le fort potentiel d’augmenter les risques de développer un état dépressif plus ou moins grave. Nombreuses sont les mamans qui ressortent de chez leur médecin avec une ordonnance d’antidépresseurs et une tape dans le dos accompagnée d’un « ça va passer ».

La maternité nous fait connaître des joies immenses, des sensations de bonheur inégalables, mais aussi des frustrations et des angoisses souvent vécues dans le silence et la solitude, parce que inavouées et inavouables. La société attend une performance exemplaire de la part des mères. Si elles sont épuisées ou débordées, c’est qu’elles sont forcément mal organisées. S’il leur arrive d’être agressives ou coléreuses, c’est à cause de leur émotivité exacerbée. Et si elles s’effondrent, c’est qu’elles souffrent de dépression et après un traitement adapté, elles retrouveront leur productivité.

I – Reconnaître le Burn out Maternel : baby blues et autres troubles maternels.

Lorsque l’on accueille une maman en séance de sophrologie, elle peut évoquer plusieurs difficultés, plusieurs troubles ou même des symptômes physiques divers. Sa demande peut être extrêmement vague comme vouloir aller mieux, être plus patiente avec les enfants. Vous ne vous retrouverez jamais face à une mère qui vous dit « je suis là car je suis en burn out maternel et je souhaite m’en sortir en apprenant à gérer mon stress, mes émotions et ma fatigue ! ». S’entendre dire cela c’est reconnaître que l’on est en souffrance maternel et savoir que ça existe.

Beaucoup de mamans qui sont en réalité en épuisement maternel, auront entendu de la part de leur médecin ou du pédiatres des enfants, qu’elle ne sait pas s’organiser, qu’elle est fatiguée, que ce sont les hormones ou alors qu’elle fait une bonne dépression. Soit cela va passer avec le temps, soit il est proposé des anti dépresseurs plus ou moins lourds pour atténuer ce mal être dont la source ne peut pas être simplement sa nouvelle condition de maman.

Il est donc primordiale pour nous, sophrologues, d’apprendre à reconnaître une maman épuisée et nous allons donc voir les caractéristiques des autres troubles connus qui peuvent émerger après une naissance : le fameux babay blues (A), mais aussi la dépression du post partum (B) et même la psychose du post partum (C)

A- Le Baby blues :

Appelé « Fièvre de lait » par Hippocrate, puis blues du troisième jour ou blues des mamans, le baby blues est caractérisé par un état dépressif passager qui surgit inopinément dans les premiers jours qui suivent la naissance et que l’on peut comprendre comme étant le contre coup normal de cet évènement majeur de la vie d’une femme.

Les « symptômes » du baby blues varient d’une femme à l’autre :

  • Crises de larmes pour des raisons en apparence superficielles et labilité émotionnelle avec des sautes d’humeur

  • Irritabilité souvent tournée vers le père ou le personnel soignant.

  • Anxiété sur son aptitude à savoir s’occuper du bébé

  • Difficultés à se lier au nouveau-né avec parfois des sensations d’être distante ou indifférente à son bébé, ce qui entraîne une profonde culpabilité.

  • Hypersensibilité aux critiques avec des sentiments d’accablement, de vulnérabilité, de découragement

  • . Difficultés à se concentrer, des oublis ou des moments de confusion.

  • Troubles du sommeil ou de l’alimentation.

Il faut savoir que le baby blues apparaît chez plus de 50% des accouchées et son pic de fréquence et d’intensité se situent entre le troisième et le cinquième jour après l’accouchement. Si les manifestations peuvent parfois être violentes, ce qui caractérise le baby blues, c’est qu’elles diminuent rapidement et disparaissent le plus souvent avant le dixième jour.

Il existe plusieurs facteurs qui peuvent expliquer le baby blues, mais le plus significatif est la chute hormonale. En effet, pendant la grossesse, le corps de la future mère sécrète des oestrogènes et de la progestérone dont le taux est 30 à 50 fois plus élevé qu’en temps normal et qui ont un effet « euphorisant » ! Lorsque le placenta est expulsé à la fin de l’accouchement, les taux d’hormones chutent en quelques heures. La brutalité de ce bouleversement est un choc pour le corps et le cerveau, et les émotions sont inévitablement impactées. Sachez qu’il faudra plusieurs mois pour que le corps retrouve son équilibre hormonal.

En plus de l’explication hormonale, les psychologues s’accordent pour dire que le baby blues incarne un véritable temps d’adaptation et de passage symbolique du statut de femme à celui de mère. Jean marie Delassus, psychanalyste de la naissance, estime que c’est « un temps d’attente et de vacillement où le tout comme le rien peut arriver, un temps pendant lequel se met en place la relation. C’est un gué, un passage délicat plutôt qu’un simple état passager». La psychologue Myriam Szejer va au-delà, en évoquant le baby blues comme un moment de véritable dépression où « tous les cadavres sortent des placards ».

Le baby blues peut aussi surgir de toutes les déceptions que la mère a pu rencontrer : déception d’une grossesse qui ne s’est pas passée comme elle l’aurait voulu, déception aussi d’un accouchement qui a pu présenter des complications (forceps ou césarienne), déception aussi d’un ventre laissé vide ou encore déception d’un enfant qu’on envisageait si merveilleux, idéal, alors qu’il se présente comme un être extrêmement exigeant et dépendant.

Rajoutons à cela, la fatigue de la fin de grossesse, de l’accouchement et des premières nuits sans repos, mais aussi une période de doutes ,avec une avalanche de « bons conseils », de nouveaux gestes à apprendre, de la mise en place parfois de l’allaitement qui peut se révéler délicat. Toutes ces incertitudes face à l’arrivée du bébé peut déclencher une crise de « confiance en soi, » même si la jeune mère pense avoir bien préparé la naissance. Le sentiment maternel tout neuf est fragile etquasiment toutes les jeunes mères doutent de leurs capacités, à un moment ou à un autre. Cette nouvelle responsabilité peut paraître terrifiante et la quantité d’informations (souvent contradictoires) leur font oublier qu’elles doivent se fier avant tout à leur instinct et à leur bon sens.

Nous devons retenir que le baby blues n’est pas une maladie qui se traite, mais c’est un état passager qui se résorbe avec du repos et une implication de l’entourage qui doit se montrer à l’écoute, sans jugement et qui peut également s’employer à soulager la maman en réduisant des visites à la maternité ou en gérant les tâches quotidiennes. Le papa a alors un rôle très important de soutien et de démonstrations affectives, bienveillantes et rassurantes.

B– La dépression du post partum

La dépression postnatale est une sorte de malaise jamais ressenti dans le passé. Il infuse peu à peu la jeune mère, la paralyse, lui donne une impression de lenteur et de lourdeur, lui fait éviter tout contact social pour se concentrer sur son bébé ou, à l’inverse, l’amène parfois à le rejeter et peut lui donner envie d’en finir avec la vie. Il s’agit d’un état persistant d’anxiété et de dépression qui s’installe, le plus souvent de la 6e à la 12e semaine après l’accouchement.

On estime que la dépression post-partum touche entre 10 et 20 % des femmes, quels que soient leur niveau social ou les antécédents psychiques. A tout moment, au cours de la première année suivant l’accouchement, 50% des dépressions se déclarent 2 semaines après l’accouchement ; 15% se déclenchent entre 2 et 6 semaines après ; et le reste au moins trois mois après la naissance.

Le psychologue Jacques DAYAN parle de « dépression souriante », car sans doute la présence du bébé incite une mère à ne rien laisser transparaître de son mal-être et la pousse à se dépasser, sans tenir compte de ses souffrances. La dépression maternelle est donc délicate à reconnaître (et à faire reconnaître, car souvent minimisée par les médecins et les femmes elles mêmes) et elle se caractérise par les symptômes suivants :

  • Une perpétuelle fatigue physique, non soulagée par le repos et aggravée par des insomnies ou des difficultés à dormir. Une fatigue mentale, avec perte d’énergie, manque d’intérêt pour la vie courante et un état de détresse qui affecte négativement toutes les réactions.
  • Des pleurs sans raison ou bien incapacité à pleurer malgré une forte envie. Un manque total de confiance en soi (peut penser continuellement qu’avoir eu ce bébé était une erreur).
    La maman se sent abandonnée, jugée, critiquée, mal aimée, jalouse les autres mères qui semblent mieux s’en sortir.

  • Des crises d’angoisse liées au fait d’être persuadée qu’un drame va se produire ou que le bébé est en danger. Une hypervigilance peut naître ainsi que des pensées obsessionnelles sur la sécurité du bébé, son hygiènes, son alimentation ou ses pleurs.

  • Des colères incontrôlées (surtout chez les femmes qui semblaient tout maîtriser) et une irritabilité constante. Des oublis graves, même des soins du bébé, avec culpabilisation terrible (souvent au point de ne plus oser sortir). Ou au contraire, un détachement du bébé et de ses besoins.

  • Des symptômes physiques : palpitations, difficultés à respirer, chute de cheveux par plaques, courbatures et crampes, somatisation excessive et perte totale de libido et d’appétit.

La dépression post partum se caractérise par une relation avec l’enfant qui apparaît comme dysharmonieuse. En effet, la maman peut ne ressentir aucune émotion, être distante ou réticente à prendre son bébé contre elle ou au contraire avoir des difficultés à s’en détacher corporellement. La maman peut également exprimer son désarroi envers son bébé par des gestes brutaux ou au contraire cacher ses pulsions par des démonstrations d’affection excessives en public.

La dépression est une maladie qui peut amener la maman à avoir des pensées et fantasmes obsessionnels, des phobies d’impulsion qu’elle ne peut chasser et qui l’anéantissent : peur de faire du mal à son bébé, peur d’être incestueuse… Ces phobies d’impulsions sont des pensées irrépressibles mais sans envie réelle de passer à l’acte et cela doit être différencié de l’envie de faire du mal à son enfant qui elle, relève de l’urgence psychiatrique.

La dépression post partum touche entre 10 et 20 % des femmes, quels que soient leur niveau social ou leurs antécédents psychiques. Des problèmes dans le couple ou des rapports tendus avec la famille, un isolement social, des difficultés matérielles ou des traumatismes d’enfance qui ressortent, sont évidemment des facteurs aggravants qui doivent nous interpeller sur la détresse d’une patiente qui viendrait consulter un sophrologue pour simplement apprendre à gérer ses émotions. La dépression post partum n’est pas à prendre à la légère car nécessite des soins particuliers, et peut être même un soutien médicamenteux pour qu’elle ne s’installe pas.

CLa Psychose du post partum :

La psychose post partum (ou puerpérale, c’est à dire affection liée à l’enfant) est un trouble psychiatrique grave qui touche 1 femme sur 1000 et qui survient, le plus souvent, dans les deux semaines qui suivent l’accouchement. Il se caractérise par un état de confusion et de délire qui peut mettre en danger la mère, mais aussi son enfant. C’est une affection rare et spectaculaire, d’un chaos émotionnel sévère, qui s’accompagne d’un état délirant et d’agitations extrêmes.
C’est un véritable saut dans le précipice émotionnel que la naissance d’un enfant ouvre soudainement sous les pieds d’une femme, en général sans antécédents psychiatriques.

En plus des symptômes de fatigue, de trouble de l’humeur ou du sommeil,la psychose post partum se reconnaît car elle provoque chez la femme des délires ayant pour objet la naissance et la relation avec son bébé. Les symptômes récurrents sont :

  • Un état délirant centré sur la relation entre la mère et son enfant avec un risque d’infanticide (dans 4 % des cas) ;

  • Une confusion mentale et une obnubilation avec des idées paranoïaques d’être pourchassée, surveillée ou menacée de mort.

  • Des hallucinations visuelles, auditives ou cénesthésiques avec des confusions dans l’espace et le temps, pouvant même aller jusqu’à des phases où la mère voit et parle avec des proches décédés.

  • Une impossibilité presque totale de dormir ou de se reposer avec une agitation extrême, de la panique et des pertes de mémoire graves.

  • Des propos incohérents, centrés essentiellement sur l’enfant : celui-ci demeure le centre de ses préoccupations, peur qu’il ne meure ou qu’il lui soit enlevé, le bébé est parfois perçu comme un messie, un sauveur, dont la naissance ébranlera ou sauvera le monde.

La psychose puerpérale est une urgence psychiatrique qui doit nécessiter une hospitalisation conjointe avec l’enfant, dans le cadre d’un milieu thérapeutique très contenant. Malheureusement les mères sont souvent dirigées dans des centres psychiatriques qui peuvent proposer de la sismothérapie, alors qu’il s’agit « juste » d’une déstructuration psychique provisoire et que le délire se présente comme une tentative de survie, une issue de secours, face à un événement qui déborde le psychisme de la mère.

Des médicaments, de types neuroleptiques et anxiolytiques, sont utilisés pour calmer l’angoisse et gérer les symptômes délirants qui peuvent durer plusieurs mois. Ainsi, les troubles violents de la psychose post partum diminuent souvent entre 10 jours et 3 mois et les rechutes sont extrêmement rares. Michèle Benhaim, dans son livre « la folie des mères », explique que « cette folie maternelle éclate comme « un coup de tonnerre » chez des femmes n’ayant présenté aucun signe alarmant pendant leur grossesse, même si avec le recul de l’analyse, une certaine fragilité psychique pouvait se deviner. »

Par Jauvert Laura – Sophrologue